ÉDITORIAL DE JEAN-YVES PIDOUX, DIRECTEUR DES SiL
Notre indispensable énergie
Pouvons-nous, en cet été 2020 caniculaire, espérer sortir bientôt d’une crise sanitaire et économique majeure? Combien de temps cela prendra-t-il? Les courbes de reprise économique seront-elles plus, ou moins pentues que celles de nos émissions de CO2? Devons-nous nous faire à l’idée que rien ne sera plus comme avant? Avec soulagement, ou avec inquiétude?
Nul ne le sait. En revanche, nous savons déjà que la pandémie a, à un point que bien peu auraient pu prévoir au début du mois de mars, chamboulé nos habitudes, nos manières d’habiter et de travailler, de nous déplacer, de faire nos achats, de nous distraire; elle a suscité des réactions tant solidaires qu’égoïstes, tant rationnelles que paniquées. Quant à nos institutions, elles ont été mises à rude épreuve: d’abord, bien sûr, le système sanitaire a dû répondre dans l’urgence à des besoins inouïs, et ceux qui y sont employés l’ont fait avec une compétence et un engagement phénoménaux. Mais d’autres services à la population se sont également dévoués: une partie des commerces a pu rester ouverte, dans une grande tension et sur un mode inévitablement dégradé; les transports publics et privés ont été assurés, tant bien que mal. La propreté et la sécurité publiques ont été maintenues. Et pour ce qui concerne les prestations des Services industriels, la sécurité de l’approvisionnement en électricité, en chaleur et en signaux ont été garanties.
Merci!
Que soient chaleureusement remerciés toutes celles et tous ceux qui, parfois au péril de leur santé et de celle de leurs proches, ont fait en sorte que le système social et les infrastructures ne s’effondrent pas. Il faudra s’en souvenir bien au-delà de la période des applaudissements qui ont ponctué le début de nos soirées printanières. La pérennité du vivre-ensemble a été assurée par la disponibilité de technologies certes, mais d’abord par des actions individuelles: des personnes ont assumé des risques que d’autres ne voulaient ou ne pouvaient prendre.
Un système solide
Ces moments de crise montrent aussi à quel point il est indispensable que des autorités assument leurs responsabilités, sans en abuser. Ce n’est pas une mince affaire, mais c’est rendu possible par les ressources institutionnelles et économiques dont dispose la collectivité. En Suisse, à tout le moins, nous avons la chance d’avoir un système politique et économique si solide qu’il va s’en remettre, même si le cataclysme laissera des traces. Mais il ne faudra pas oublier que sans un système sanitaire mieux préparé, sans des ressources légales et économiques à disposition de la collectivité, d’autres crises d’une telle ampleur ne pourront pas être surmontées avec la relative maestria qu’ont montré nos institutions. La comparaison avec d’autres pays, moins riches ou dont les autorités n’ont pas su affronter la pandémie - voire l’ont instrumentalisée à des fins électorales ou même despotiques - est éloquente. Bien peu d’Etats peuvent se targuer d’avoir un système politique qui permette l’accession, au plus niveau institutionnel, de personnes aussi sages que la présidente de la Confédération, qui déclare que le pouvoir absolu n’est pas un pouvoir qui rend heureux et qu’elle y renonce sans regret.
Assurer l'approvisionnement
Je fais l’hypothèse qu’il en va des infrastructures comme de l’Etat démocratique: leur disponibilité et leur discrétion sont des atouts qui garantissent leur légitimité. Pour ce qui concerne les Services industriels, la conclusion est donc, là aussi, sans équivoque. D’abord, nous devons bénéficier des ressources et des compétences nécessaires à assurer la sécurité de l’approvisionnement en énergies. Que l’on pense à ce que serait devenu le secteur hospitalier, s’il n’était pas correctement alimenté en énergie: il dispose certes d’installations de secours, mais celles-ci ne peuvent fonctionner indéfiniment. Il est essentiel de garantir que, en cas de panne, les réseaux auxquels il est connecté retrouvent très rapidement leur capacité d‘alimentation. En ce sens, les appels à la dérégulation ou à la privatisation manifestent une perception très sélective de la contribution des réseaux énergétiques au bien commun. Il ne suffit pas d’«ouvrir» un marché pour en garantir le bon fonctionnement. Lorsque les prestations fournies sont essentielles au bien-être collectif et dépendent de réseaux en situation de monopole naturel (car ils ne peuvent être dupliqués sans investissements inconsidérés), la «main invisible» du marché peut se montrer quasi-infirme.
Discrète mais perceptible
De plus, les gens doivent pouvoir reconnaître à la fois le bien-fondé et la légèreté de l’intervention de l’Etat et des services qui lui sont associés. Cela passe d’ailleurs par le constat paradoxal que ces prestations ne sont jamais aussi visibles que lorsqu’elles viennent à manquer – l’exemple d’une panne d’électricité est ici révélateur. Aussi les serviteurs de l’Etat se fourvoient-ils lorsqu’ils se gargarisent de leur action. Pour décliner la formule devenue célèbre sur la vitesse d’intervention des autorités: tant pour elles que pour les services à la population – dont fait partie la fourniture d’énergie: il faut, pour assurer le bien-être de la collectivité, agir de manière aussi discrète que possible, et aussi perceptible que nécessaire.
Août 2020